Publié : Janvier 2024

 

INTRODUCTION

Située à Terre-Neuve-et-Labrador, la province la plus à l’est du Canada, la région du Gros-Morne a acquis la réputation d’un paysage majestueux et stupéfiant, imprégné d’histoire et de récits locaux. La région abrite le parc national du Gros-Morne, le deuxième parc national du Canada atlantique en superficie, où le tourisme est l’un des principaux moteurs de l’économie de la région. Cow Head, Woody Point, Trout River, Glenburnie-Birchy Head-Shoal Brook (GBS), Norris Point, Rocky Harbour et
St. Pauls sont sept communautés enclavées situées dans les parties sud, centrale et nord du parc national du Gros-Morne. La région est composée d’un ensemble d’entreprises, d’exploitants et de communautés, et offre aux visiteurs des expériences à différents niveaux de développement. C’est une région riche en histoire, en atouts naturels et en offres de loisirs en plein air. Bien que des controverses historiques comme le moratoire sur la pêche à la morue de 1992, l’effondrement des pêcheries et la création du parc aient éloigné les communautés de leur ancien mode de vie économique et les aient rendues dépendantes du tourisme, ces communautés ont compris qu’un effort ciblé, régional et collectif permettrait de renforcer les capacités globales de la région et de contribuer à la réalisation des objectifs de développement économique. Cette étude de cas montre comment la collaboration et les partenariats ont permis de cerner les problèmes, de concilier les différences et de renforcer les initiatives régionales en matière de tourisme afin de parvenir à une croissance économique plus durable à long terme.

 

CONTEXTE

Two colorful quilts are hanging on a clothesline outside, blowing in the wind, with a red building on the left, a grassy field, and a view of the ocean waves and distant coastline in the background.

 

Un certain nombre de problèmes majeurs ont affecté cette région de Terre-Neuve, notamment la réinstallation et les conflits entre les parcs et les communautés ainsi que le manque de capacité des petites communautés à élaborer des plans de développement touristique à long terme et à faire concurrence pour obtenir du financement. Dans les années 1960, le gouvernement provincial de Terre-Neuve-et-Labrador avait de la difficulté à maintenir un niveau de services adéquat pour certaines communautés isolées, et a procédé à une réinstallation forcée des villes isolées. Cette décision controversée a entraîné une défiance envers le gouvernement et les décisions venant d’en haut ainsi qu’un manque de soutien à l’égard du régionalisme. En 1973, une autre réinstallation de certains résidents locaux s’est produite lors de la création du parc national du Gros-Morne1. En 2005, la Loi sur les parcs nationaux du Canada a été appliquée, ce qui a fait de ce parc un parc national officiel. Jusqu’alors, les règles et réglementations de Parcs Canada étaient parfois en contradiction avec un mode de vie que de nombreux résidents locaux ne voulaient pas abandonner. La création du parc a entraîné l’application de nombreux règlements qui allaient à l’encontre des modes de vie traditionnels, y compris des activités comme la chasse, l’utilisation des collets ou la coupe d’arbres dans les limites du parc2.

Malgré l’attraction de nombreux visiteurs dans la région (environ 250 000 par an), il existait des tensions entre le mandat de conservation et les traditions locales. La région a également été confrontée à des problèmes de capacité. Dans la région du Gros-Morne, il n’y a pas de gouvernance régionale, la plupart des villes n’ont qu’un ou deux employés et les postes de gouvernance municipale sont essentiellement occupés par des bénévoles. Historiquement, le tourisme n’était pas une priorité ou une préoccupation immédiate, car les priorités de ces petites communautés étaient généralement davantage axées sur des enjeux plus immédiats comme le déneigement efficace, le ramassage des ordures, les eaux usées, l’approvisionnement en eau, l’entretien des routes, etc. Les villes avaient besoin d’aide pour renforcer leurs capacités dans le domaine du tourisme, notamment pour créer un plan touristique à long terme, suivre et établir les possibilités de financement, préparer les propositions de financement et, en cas de succès, gérer efficacement les fonds, par exemple en créant des demandes de propositions pour trouver des entrepreneurs et en gérant les projets en cours. Au-delà des bonnes intentions et de quelques mesures locales, il était nécessaire de renforcer les capacités pour développer et favoriser efficacement l’industrie du tourisme au sein de ces communautés.

 

1 Nation, RE (1983). « The Acquisition of National Parkland: A Challenge for the Future ». Dalhousie Law Journal. Vol 7(3). Consulté en septembre 2023. https://digitalcommons.schulichlaw.dal.ca/cgi/viewcontent.cgi?article=1349&context=dlj.
2 CBC (2019). « An uneasy balance in Gros Morne National Park: A Land & Sea archival special. Consulté en septembre 2023. https://www.cbc.ca/news/canada/newfoundland-labrador/land-and-sea-gros-morne-1.4831503.

 

 

LE PARTENARIAT

 

Le partenariat actuel entre six communautés est né d’un projet mené par la Gros Morne Co-operating Association (GMCA). Le projet de trois ans (de juillet 2020 à septembre 2023) était connu sous le nom de Gros Morne Tourism Regional Implementation Project (GMTRIP, Projet de mise en œuvre régionale du tourisme au parc national du Gros-Morne). Le nouveau partenariat a conservé le sigle, tout en changeant légèrement de nom pour devenir le Gros Morne Tourism Regional Innovative Partnership (GMTRIP, Partenariat régional novateur de Gros-Morne). Les efforts déployés par la GMCA pour travailler avec les communautés de Gros-Morne ne datent pas d’hier. Depuis 1993, cet organisme à but non lucratif travaille avec les sept communautésetle parc national ainsi qu’avec de nombreuses entreprises locales et d’autres intervenants de l’industrie du tourisme pour faire progresser le tourisme dans la région et promouvoir la région auprès des visiteurs et des résidents en s’engageant à protéger l’histoire naturelle et humaine de la région. En 2017, la GMCA a organisé un exercice visionnaire financé par l’initiative du Programme stratégique de tourisme dans les zones et les régions (PSTZR), afin d’élaborer un plan stratégique décennal pour le tourisme dans la région du Gros-Morne. Voici en quoi consiste la vision décennale.

La région du Gros-Morne est internationalement recherchée en tant que destination touristique canadienne emblématique où la nature spectaculaire, l’expression culturelle et l’authenticité s’entremêlent pour enrichir la vie des visiteurs et des résidents3.

Le PSTZR a été élaboré et financé par l’Agence de promotion économique du Canada atlantique (ACOA) et illustre la manière dont la collaboration de multiples intervenants peut renforcer la coopération. Logo for Gros Morne Tourism Regional Innovative Partnership, featuring a stylized depiction of a landscape with a series of colored vertical bars representing different sections of terrain above the text.

 

3 « Gros Morne Regional Strategic Plan », 2016. Dernière consultation en septembre 2023 https://grosmornecoop.com/wp-content/uploads/FINAL-GMSTAR-Plan-Nov-23-2016.pdf 

 

LE PROGRÈS

Dès le début du projet, les communautés, dont la population varie entre 270 et 1 000 habitants, ont créé un groupe de travail composé d’auxiliaires et de gestionnaires municipaux représentant chaque ville. Le groupe de travail a été formé pour superviser le projet et des réunions régulières ont été organisées pour assurer la matérialisation des produits livrables. Les auxiliaires et les gestionnaires municipaux représentaient le noyau du groupe de travail et ont tissé des liens au fil des ans en travaillant à l’élaborationde lignes directrices du GMTRIP et en fonctionnant comme une sorte d’équipe élargie. Ce résultat a été le premier indicateur concret de la collaboration et du soutien mutuel entre les sept villes. Outre ce groupe de travail principal, un comité d’évaluation responsable d’élaborer une stratégie d’évaluation pour le GMTRIP a été créé. Le comité d’évaluation était composé de conseillers universitaires et d’étudiants de l’Université Memorial ainsi que d’experts en évaluation de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique (APECA). Le comité d’évaluation a pris l’initiative de sonder les habitants des communautés de Gros-Morne afin d’établir un point de comparaison en matière d’opinion, de préoccupations, de valeurs et d’aspirations des habitants en ce qui a trait au tourisme. Les résultats du sondage, mené du
6 août au 4 octobre 2021, ont également fourni des informations précieuses aux promoteurs touristiques et à la gouvernance municipale en permettant de mieux comprendre l’opinion des résidents sur les effets du tourisme. Plusieurs questions ont été soulevées, notamment la nécessité de développer l’industrie du tourisme au-delà de la période actuelle de trois mois; les préoccupations relatives aux effets négatifs du tourisme comme l’augmentation du prix de l’immobilier qui affecte l’accès à des logements abordables et qui intensifie davantage la prédominance d’une population vieillissante, étant donné que les jeunes familles n’ont souvent pas les moyens de s’installer dans les communautés touristiques les plus prisées. Les résidents s’attendent à ce que leurs besoins soient toujours au premier plan de la planification touristique, afin de garantir une approche régénératrice et résiliente du tourisme.

Un nouvel accord de partenariat volontaire non contraignant a été signé le 13 août 2023. Cette date marque également le 50e anniversaire du parc national du Gros-Morne. Six des sept communautés enclavées ont signé l’accord, ce qui montre que la collaboration est un incitatif plus fort que le travail individuel et permet d’accroître la capacité de gestion, de financement et d’appropriation des projets. La mise en place du partenariat entre les six communautés a également permis de changer d’orientation et de se concentrer sur la résilience globale de la région et sur l’adaptabilité grâce à une approche participative impliquant tous les conseillers municipaux (chaque ville élit sept conseillers pour un mandat de quatre ans). Cette mesure a permis d’obtenir un plus grand soutien municipal et politique ainsi qu’une coopération accrue entre les communautés participantes. Le partenariat a également contribué à l’élaboration d’outils permettant d’aborder et de gérer des questions comme l’image de marque et le marketing. Il a également entraîné la mise de côté des enjeux purement touristiques pour prendre en considération les effets externes comme les changements climatiques et la capacité régionale globale, ce qui, en fin de compte, contribue également au développement du tourisme.

Le partenariat régional, composé de six communautés enclavées, illustre les principales réussites suivantes :

Figure 2: Key successes

 

 

ASPECTS DU TOURISME RÉGÉNÉRATEUR

 a stunning view of a deep blue fjord surrounded by steep, green cliffs under a clear blue sky.

 

Au cours des trois années du projet, le groupe de travail a été reconnu comme une « table ronde » représentant les communautés enclavées de la région. C’est pourquoi certaines personnes souhaitant s’impliquer au sein des communautés de Gros-Morne ont communiqué avec le groupe de travail. Ces initiatives étaient liées au tourisme et ont eu un effet sur toutes les communautés. En voici des exemples :

 

Changements climatiques

Des chercheurs de l’Université Memorial ont contacté le groupe de travail au début de l’année 2022 au sujet d’une initiative visant à faire connaître aux communautés les effets des changements climatiques4. Le groupe de travail du projet a donc aidé les chercheurs à approcher les communautés afin de sensibiliser le public.

Dans le cadre d’une autre initiative liée aux changements climatiques, l’Atlantic Infrastructure Management Network5 (AIM) a contacté le groupe de travail à
l’automne 2022 pour demander du soutien afin d’approcher les communautés enclavées et de les inscrire à son initiative qui vise à accroître les connaissances sur les vulnérabilités aux changements climatiques, puis à aider les communautés à planifier des mesures pour en atténuer les effets. Le travail avec l’AIM se poursuit.

Initiative « Come Home Year »

La communication narrative est un élément central du projet d’infrastructure touristique envisagé dans le cadre du GMTRIP en tant que premier projet touristique concret du partenariat régional. Ce projet, connu sous le nom de
« 7 Corners » (7 coins), prévoit la mise en place dans chaque communauté de sites de communication narrative dotés d’une technologie permettant aux visiteurs d’accéder à une vue unique de la communauté et d’écouter les récits issus de l’histoire et des personnes qui s’épanouissent au sein de ces communautés. C’est ce qui a conduit le groupe de travail à proposer un effort de collaboration dans le cadre de l’initiative provinciale
« Come Home Year » en 2022, qui a abouti à une demande de financement et à des événements de communication narrative organisés dans la région du Gros-Morne de juillet à décembre 2022. Une réussite, ce « projet au sein d’un projet6 » a fourni des renseignements et des apprentissages précieux au partenariat qui continue à planifier son ambitieux projet « 7 coins », lequel attirera des visiteurs dans les communautés de toute la région du Gros-Morne.

 

4 Maximiser le potentiel d’un lieu : traduire les connaissances interdisciplinaires en mesures de lutte contre les changements climatiques dans les communautés enclavées du parc national du Gros-Morne.
5 Programme de gestion des actifs municipaux mis en œuvre par la Fédération canadienne des municipalités et financé par le gouvernement du Canada.
6 Rapport sur le projet de communication narrative CHY (2022) Home is where your story began - Come home to Gros Morne we’ve a story to tell.

 

 

 

L'AVENIR

A scenic view of a small town with houses nestled among trees, situated by a river with a bridge, and surrounded by green hills and mountains.

Deux principaux résultats ont découlé de la conclusion du projet : la création réussie d’un partenariat régional (Partenariat régional novateur de Gros-Morne [GMTRIP]) et l’élaboration d’un projet ambitieux d’infrastructure touristique régionale (« 7 coins »). En septembre 2023, les membres du partenariat ont tenu une réunion inaugurale afin de mettre en place un conseil d’administration, d’élire un président et de convenir d’un mandat. Ils ont établi leurs priorités immédiates et à plus long terme pour poursuivre l’incorporation, finaliser et soumettre la proposition de financement du projet « 7 coins » et explorer les possibilités de financement afin qu’un agent de développement économique soit attaché à la région. Le nouveau partenariat a célébré le succès du projet et a reconnu que l’évaluation du succès à long terme du projet se fera au fil du temps, à mesure que le projet témoignera de l’efficacité et de la rentabilité d’un partenariat qui permet l’atteinte des objectifs suivants :

1. Maintenir l’organisme régional qu’est le Partenariat régional novateur de Gros-Morne (GMTRIP) afin de poursuivre le développement économique du tourisme à long terme pour les municipalités de la région du Gros-Morne.

2. Favoriser une collaboration plus étroite entre les conseils municipaux en ce qui concerne le développement et la promotion du tourisme.

3. Travailler en collaboration avec le parc national du Gros-Morne pour développer et promouvoir le tourisme dans la région du Gros-Morne.

4. Se soutenir mutuellement et travailler en collaboration pour résoudre les problèmes qui surviennent, tout en respectant l’indépendance, l’autorité et le caractère unique de chaque municipalité.

5. Protéger le paysage précieux et écologique de la région du Gros-Morne, en abordant les enjeux ayant un effet sur le tourisme, notamment la protection de l’environnement et les changements climatiques.

6. Développer le tourisme régional tout en protégeant et en améliorant la qualité de vie de tous les résidents.

7. Dynamiser l’expérience des visiteurs en collaboration avec le parc national du Gros-Morne et l’industrie du tourisme locale.

 

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Écrit par :
Rachel Dodds, experte en tourisme durable et professeure à l’Université métropolitaine de Toronto.